Le Brevet. Condition unique de passage au lycée

L’examen tombola


Le ministère de l’Education nationale a décidé d’assujettir le passage en seconde des lycées au seul examen du Brevet de l’enseignement moyen et ce, à partir de l’année scolaire 2007/2008

Une première qui nous ramène au Moyen-Âge de la pédagogie universelle. Cette décision contraste avec la tendance mondiale qui est à la généralisation de l’enseignement secondaire - voire, pour certains pays, à la généralisation de l’enseignement supérieur. Avec l’examen de sixième remis en place depuis deux ans, l’introduction d’une telle modalité de passage au lycée nous fait emboîter le pas au système scolaire de la France des années d’avant 1968. Malgré de profondes rénovations, ce système est décrié de nos jours par tous les courants politiques français. Quoique insolite - tellement les examens de sélection scolaire se sont incrustés dans les mœurs sociales - la question qui fâche mérite d’être posée. Pourquoi des examens scolaires ? Est-ce pour stimuler les élèves au travail ou pour établir une sélection sur des bases idéologiques - bien souvent ?
Historique
Il fut un temps, que les nostalgiques affectionnent par purs sentiments - où pas moins de six ou sept examens/obstacles se dressaient devant les élèves de la fin du primaire à l’université : sixième, Certificat d’études primaires (anciennement dénommé baccalauréat des études primaires), le Bepc, le Be, la 1ere partie du bac, la 2e partie du bac et la propédeutique. Cette course à obstacles, caractéristique de l’ancien modèle français, était justifiée à travers des circulaires en date de la fin du XIXe siècle : « Permettre une éducation élémentaire aux enfants des ouvriers et des paysans pour qu’ils puissent relayer leurs parents dans les travaux des champs et les ateliers ». L’enseignement secondaire et surtout supérieur était réservé aux enfants de la noblesse et à ceux de l’élite politico-financière. Pour ce faire, les autorités scolaires de l’époque avaient mis en place une stratégie pédagogique appropriée aux orientations idéologiques du pouvoir politique (sélectionner et filtrer au maximum et de façon précoce). C’est ainsi que la conception des programmes, des méthodes d’enseignement ainsi que le système d’évaluation (on parlait de contrôle des acquisitions) fut réglé sur la mémorisation et la primauté donnée à l’intelligence verbale. Cette conception de l’éducation favorisait les enfants issus d’une catégorie socioculturelle bien déterminée. Trempés dans un bain culturel stimulant et confortés par l’aisance matérielle de leurs parents, ces enfants glanaient les bons résultats. Pour plomber le verrouillage de l’entrée à l’université - vers les filière dites nobles, celles des grandes écoles - le génie des pédagogues officiels, ces zélés serviteurs du régime, accoucha d’une idée machiavélique : ouvrir des classes préparatoires dans les grands lycées des villes bourgeoises, l’équivalent des trois lycées d’excellence programmés en Algérie. C’était une façon de contenir dans le ghetto scolaire et universitaire les enfants des classes ouvrières et de la paysannerie qui auraient échappé au maillage de la multitude d’examens/obstacles. La crise des banlieues et les manifestations anti-CPE de cette année ont sonné le glas de « l’excellence scolaire à la française » et donné raison à Bourdieu avec sa théorie de « l’école reproductrice des classes sociales ». Ainsi, ce sont les idées des pédagogues progressistes de France longtemps marginalisés par le pouvoir politique qui se voient réhabilitées. On s’aperçoit qu’aucun argument d’ordre pédagogique ou scientifique ne fut avancé pour expliquer le bien-fondé des examens scolaires à la sauce française (des temps anciens). D’ailleurs, à chaque congrès international d’hygiène scolaire, les psychiatres, les psychologues, les médecins et les pédagogues soulignaient la nocivité des contrôles (en Algérie, on parle d’évaluation) et des méthodes d’enseignement basées sur la mémorisation/restitution. Les symptômes liés à ce système sélectif étaient décrits avec force et précision : malaise au ventre, à la tête, phobie de l’école, situations anxiogènes (angoisse, stress, panique) et conflictuelles (agressivité). Le cri d’alarme a été donné par Françoise Dolto vers la fin des années 1950 quand elle déclara suite à de nombreuses études de cas : « Dans le système scolaire français, les surdoués sont éliminés très tôt. Ne survivent et ne réussissent que les vrais inadaptés. » La célèbre psychanalyste reprenait-elle à son compte la conclusion délivrée vers les années 1930 par le peintre allemand Paul Klee ? Le cofondateur de l’école du Bauhaus d’architecture et d’arts plastique aimait à dire : « Un génie ne peut jamais intégrer un système ». Il faisait allusion à la montée perceptible du nazisme. L’histoire lui donna raison puisque « la pédagogie noire » chère aux pédagogues serviteurs des dictatures consacra la docilité et la soumission (et leur corollaire la mémorisation/restitution) aux méthodes fascisantes qui ne toléraient pas l’imagination créatrice et l’esprit critique. Les adeptes de ce courant artistique furent les premières cibles du nazisme culturel. Pour revenir à l’histoire, les premiers au monde à avoir institué les examens sont les militaires chinois quelques siècles avant J.C. Ils cherchaient à classer, trier et sélectionner leurs soldats. Au Moyen-Âge, les Jésuites ont mis en place l’ancêtre du système de contrôle des acquisitions. Ils adoptèrent le système dit des compositions (le terme perdure de nos jours) pour s’assurer de la mémorisation, par les disciples (les talebs), des textes religieux dont les Evangiles qu’il fallait apprendre par cœur.
Questions et contradictions
Si la pédagogie et la psychologie sont totalement étrangères à la genèse des examens scolaires, il n’en demeure pas moins que cette décision (le Brevet/ passage) - si elle venait à être validée - fourmille de contradictions et pas des moindres. Quel sera le sort à réserver aux milliers d’épreuves d’évaluations officielles étalées sur dix ans, le brevet ayant lieu à la 9e année ? Elles s’élèvent à environ trois mille (3000), notées et comptabilisées depuis la première année du primaire - si nous prenons en considération l’actuel système d’évaluation appliqué depuis cette rentrée scolaire. A moins que les notes données par les enseignants dans le cadre de leur travail quotidien soient frappées de suspicion. On se souvient de l’affirmation d’un officiel du ministère au lendemain des mauvais résultats de la première édition de l’examen de 6e en juin 2004 : ces mauvais résultats démontrent que les enseignants ont pris l’habitude de donner des notes de complaisance. « Dans un tel cas de figure - unique dans les annales de l’école universelle - c’est l’éthique et la déontologie du métier d’enseignant qui sont remises en cause. Le justificatif du laxisme des enseignants ne tient pas la route pour décréter l’examen du brevet comme unique évaluation de passage au lycée. Avec une telle mesure, on minimisera l’importance du travail et des efforts effectués par les élèves pendant leur cursus scolaire de base avant l’examen de passage. En prenant connaissance de la non comptabilisation de ces milliers d’épreuves de contrôle, ils seront démobilisés pendant leur scolarité par rapport à l’objectif de la très bonne note à obtenir. A quoi bon s’éreinter, puisque ces notes ne compteront pas pour le passage au lycée. De la sorte, le discours du ministère - axé sur la compétition, la concurrence, la performance et le rendement - prendra du plomb dans l’aile. Avec le brevet/passage le ministère prend le risque d’effacer l’objectif assigné (en théorie) au nouveau système d’évaluation qui est de motiver les élèves pour la bonne note dès la première année du primaire. Elle est légendaire, l’approche commerciale qu’ont les élèves avec la note et par conséquent avec le savoir. Ils aiment calculer, tricher, copier même soudoyer ou séduire leurs maîtres. Ils attendront gentiment l’année fatidique du brevet pour bachoter et se doper aux cours de soutien payants. N’y a-t-il pas contradiction entre un examen terminal décisif et le contrôle continu ? Pourtant, le discours du ministère glorifie le contrôle continu depuis deux ou trois ans. Les avatars de l’examen terminal en milieu scolaire - et non en milieu universitaire ou professionnel - sont connus. Ils méritent d’être rappelés : l’émotivité, la peur de l’échec, l’éventuel mal d’estomac, la toute simple arrivée en retard au centre d’examen, l’incontournable subjectivité des correcteurs. Combien de brillants élèves ont été victimes par ces erreurs de parcours lesquelles sont dénoncées depuis des lustres par les spécialistes ? Est-il moralement admissible de contraindre des adolescents encore fragiles et en pleine croissance à jouer leur destin, leur vie sur un coup de dés : un examen étalé sur trois ou quatre jours ? La préparation démentielle - financière, matérielle, psychologique - nécessaire pour gagner à une telle tombola (l’examen) soulève non plus le principe d’égalité des chances mais l’égalité des possibilités et des moyens. L’écolier montagnard des Aurès dispose-t-il des mêmes possibilités que son camarade de Hydra ou du Club des Pins ? Deuxième contradiction : l’évaluation des compétences. Voilà un concept que les programmes et le discours des officiels annoncent comme introduit et généralisé dans l’école algérienne en un laps de temps à faire rougir de honte ses géniteurs (du concept). Dans les pays où elle a vu le jour vers la fin de la décennie 1970/1980, l’approche par les compétences a mis au bas mot une dizaine d’années de sensibilisation, de formation et d’expérimentation avant d’être généralisée - et encore ! Il reste que d’éminents pédagogues et experts des sciences de l’éducation sont sceptiques quant à l’applicabilité en milieu éducatif de ce concept - très séduisant en théorie - importé du monde du travail et de l’économie. Parmi les obstacles objectifs rencontrés pour l’adapter à la vie scolaire, ces spécialistes soulignent la difficulté à élaborer un dispositif d’évaluation des compétences. Le monde scolaire est habitué à contrôler les acquisitions (mémorisées) des élèves, à la limite à évaluer des objectifs pédagogiques tels que fixés par les programmes et les guides méthodologiques d’accompagnement. Des enseignants algériens tous cycles confondus ont été contactés par nos soins pour connaître leur réaction face à cette approche par les compétences. Pas un seul d’entre eux n’a eu l’opportunité de recevoir un recyclage approprié et suffisant (en temps et en qualité) pour bien assimiler ce concept. La seule demi-journée que certains ont suivi ne les a pas outillés en conséquence - loin s’en faut. Quant à l’évaluation, ils insistent tous pour dire que leurs habitudes n’ont pas changé : ils reprennent les vieilles recettes pour contrôler les acquis de leurs élèves. Ce comportement moulé dans les habitudes et la routine chères à cette profession est aux antipodes du discours officiel qui confirme la généralisation de l’approche par les compétences et... l’évaluation qui va avec. Un fossé s’est établi entre le discours du bureau et les salles de classe censées appliquer les instructions ministérielles. La course contre la montre pour la généralisation de l’approche par les compétences ne peut autoriser une sensibilisation suffisante. Troisième contradiction. En affirmant que les élèves recalés au Brevet/passage seront orientés vers la formation professionnelle, le MEN prend à contre-pied l’esprit de l’arrêté qu’il a signé conjointement avec son homologue de la FP. Ce document était salué par les observateurs en tant que volonté de réhabiliter et de valoriser ce secteur aux yeux des élèves et des parents. Voilà que les écoles professionnelles sont officialisées dans leur rôle traditionnel de voie de garage, réceptacle pour les exclus. Cette histoire de retour aux examens de sélection/filtre sur fond de misère sociale et de précarité de l’emploi nous ramène aux heures sombres de la colonisation. Et si on convoquait Frantz Fanon ? Le célèbre psychiatre parlait déjà du complexe du colonisé : « Le colonisé rêve de prendre la place du colon et de rééditer aux dépens de ses frères ses pratiques d’exclusion et de répression ». En conclusion, il nous parait opportun de créer les conditions pour un large débat technique sur la stratégie pédagogique qui doit prévaloir dans notre pays. On ne peut que constater avec amertume l’absence d’engagement de nos spécialistes en sciences de l’éducation et des hommes de terrain. Ils sont les premiers concernés par ce débat. Ils gagneraient en crédibilité et en respect s’ils éclairaient les lanternes blafardes de l’opinion publique sur les enjeux des mesures prises dans le monde scolaire. Les solutions existent qui peuvent redorer le blason terni de l’école algérienne. Il faut juste aller les chercher là où elles se nichent.


Par Ahmed Tassa El Watan

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